Neven Hughes >> Nevermore

La Nouvelle-Orléans, une cité embourbée dans le temps, où une nouvelle religion a évolué en moins de deux siècles - un mélange hétéroclite composé d'une note de poussière de cimetière haïtien, d'une dose de juju de la brousse africaine, d'une gorgée de vin de messe et d'une pincée de miasmes des marais. Tu as vu le jour dans cette ville aux chatoyantes couleurs, le berceau du jazz et du vaudou. Né d’une sorcière prolo’ et d’un aristo’ qu’une fougue féroce a emportés. Puis abandonnés tout aussi vite. Même aux âmes-sœurs, l’amour ne suffit pas toujours. Tes parents ont divorcé assez tôt dans ta vie et tu t'es retrouvé déchiré entre deux mondes par la garde alternée. Navigant entre l'appartement luxueux de la rue Bourbon et la cabane miteuse dans le fin fond du Bayou. D'un côté, il y avait ton père avec ses valeurs chrétiennes de même que ses attentes vis-à-vis de son héritier. De l'autre ta mère et ta grand-mère, t'ayant élevé dans la tradition wiccane et féministe familiale. Dans tes premières années de vie tu as été Neven, l'enfant roi, et Nova, la première incarnation de la déesse. Une dualité douloureuse qui persiste en toi.

Ta mère et ta grand-mère attendaient une fille pour compléter la triade clanique et tu as été traité comme tel durant ton enfance. Chaque semaine tu changeais de genre, passant de Neven0 à Nova et inversement. Pour ton père tu devais être un homme, fort et viril. Pour tes mères tu devais être doux et délicat. Les frou-frous et les jupes laissaient place aux t-shirts déchirés et couverts de boue. Tu as connu le luxe et la pauvreté. Déchiré entre deux mondes au point de ne plus savoir qui tu étais, tentant désespérément de correspondre aux images auxquelles on voulait que tu colles. Tu étais perdu dans ton identité autant que dans tes croyances. L'église catholique prônant la crainte du malin de même que la vie après la mort, et la wicca reniant tout bonnement leur existence prônant la dualité des divinités et la réincarnation des âmes. Tu avais du mal à concevoir comment ces deux visions pouvaient coexister dans le même univers, de même que la façon dont tes deux réalités le faisaient dans ton existence. Tu n'étais rien d'autre que ce que l'on faisait de toi, une coquille vide, simple réceptacle des envies de ton entourage.

C'est avec une certaine appréhension que tu entras dans l'adolescence. Tu étais conscient d'être différent des autres gamins de ton âge. Non pas seulement en raison de ton âge et de la dualité qui te déchirait l'esprit, mais tu préférais également les récits philosophiques et complexes à l'humour grotesque que l'on voyait à la télévision. Quand les autres jouaient et riaient, toi, tu découvrais les secrets régissant le monde et apprenait à les maîtriser. Le seul enfant de ton âge que tu côtoyais régulièrement était ton demi-frère, issus du second mariage de ton paternel. Plus tu grandissais, plus ton corps s'éloignait de Nova et de son image de frêle jeune fille. Tes muscles se développaient, ton corps se faisait plus massif et masculin, t'enfermant dans le rôle de Neven alors que ton esprit quant à lui prenait l'autre direction. Face à la dureté et l'intolérance du monde chrétien de même que l'élitisme étouffant de l'aristocratie, tu as préféré tendre vers les enseignements de la déesse mère, polythéistes et tolérants. Là où on ne se moquait pas de tes croyances et te laissait être celui que tu désirait. Là où on ne considérait pas ces femmes que tu aimais et qui avaient guidé tes premiers pas dans le monde comme de simples outils.

C'est ainsi que tes deux existences ne devinrent qu'une à l'image de l'union entre le dieu cornu et la déesse. Suite à cette acceptation vint ton initiation et ton entrée dans le coven. Pour conserver un équilibre et une équité, les femmes devaient être initiées par les hommes et inversement. Tes mères ne prirent pas en charge ton apprentissage, c'est la Grande-Prêtresse qui devint ton mentor, comme il était courant dans le culte. Elle était aimée et admirée, autant qu'elle était crainte. Elle te fascinait. Cette femme envoûtante et forte, Adréa. Avec ton entrée dans le coven commencèrent les conflits avec ton père, l'incompréhension, la déception. De même que la violence, physique et verbale. Il était impensable que l'héritier des Hughes ne se montre plus à l'église. Qu'il s'adonne à des rituels orgiaques et au culte du malin. Ses idées étaient préconçues et fausses, son esprit refusait d'accepter ce choix sur lequel il tentait de te faire revenir au fil des coups et des insultes. Pourquoi ne pouvais-tu pas être comme ton frère cadet ? Pourquoi avait-il fallut que tu naisses de son union avec cette folle aux mœurs légères ?

Vous étiez au nombre de 13 dans le coven, les membres étaient pour la plupart bien plus âgés que toi, il n'y avait que Skylar qui était encore dans l'adolescence, un jeune cajun de trois ans ton aîné. Vous vous étiez donc naturellement rapprochés. Sky, c'était tout ton monde. Ta moitié, ton frère, ton âme sœur, tu en étais intimement convaincu. Vous jouissiez de cette liberté nouvelle et folle conférée par la jeunesse de même que par vos croyances. Gamins perdus du Vieux Carré. Vous aviez tout tenté, tout expérimenté ensemble, des rites d'autres religions telles que le vaudou aux arts et à toute activité qui s'offrait à vos êtres en soif d'existence. De votre adolescence il ne reste que le souvenir des excès, une vague brume nébuleuse et incertaine. Ces années vous les avez passées le crâne extasié par la fée verte ou les pilules selon les jours, vous perdant dans les humeurs de la cette ville aux chatoyantes couleurs. Vous vous y êtes jetés à corps perdu, vous enivrant d'alcool à même les goulots, les verres ou les lèvres chaudes, enfilant les colliers jetés des chars, vous parant du violet, de l'or et du vert du Mardi Gras.

Tu finis par trouver ses bras et t'y complaît, l'enlaces, l'enserres et le marque, finissant en lui, et t'y endormant toute l'agonie de la nuit. Vous crochetez la serrure de l'appartement luxueux de ton paternel et vous l'envahissez, reprenant vos ébats jusqu'à vous endormir, fondus l'un dans l'autre. Au matin, l'alcool t'enchante, te hante, et ton crâne trouve repos contre une chaire tiède au cœur battant. Le paysage est ce qu'il est, ruelle jouxtant la Rue Bourbon, envahie de perles tricolores, de confettis détrempés... et vos deux corps avachis et entremêlés... Tu te redresse, mais les chapelets du Carnaval lient vos cous, vous retenant l'un à l'autre, vous liant d'une façon sacrée de la magie profonde du quartier. C'est un joli début dans votre histoire. Mais la crise vient sans tarder lorsque la voix de ton père se refait hurlement face au spectacle qu'il découvre. Tu ne l'écoutes même plus. Tu t'y es fait, aux insultes et aux cris. Ca n'est pas le cas de Skylar par contre. Tu vois instantanément ce qui va suivre. Alors t'écrases ton poing dans la gueule de ton géniteur pour que Sky n'aie pas à le faire, te disant que les conséquences seront bien moins graves si ça vient de toi. Et putain. Ca te fait un bien fou. Tu évacues dans le coup des années de rage et de rancœurs contenues.

Mais ça ne s'arrête pas là. Y a les punitions et on te réprimande, bien sûr. Mais le pire, c'est les regards de ta mère et de ta grand-mère. Leur incompréhension. Face à la violence. Mais encore plus face au genre de ton compagnon. La tradition wiccane a eu beau s'assouplir quant à l'homosexualité, vous étiez dans un coven gardnerien encore strict et le père fondateur de la branche tendait davantage vers l'homophobie que l'acceptation. Elles décidèrent de taire l'incident pour vous éviter le renvoi du coven, à condition que vous mettiez fin à votre relation. Bien entendu, Skylar refusa cet arrangement. Mais pour toi, le renvoi du coven impliquait bien plus de choses. Tu venais tout juste de te dresser contre ton père et ses abus, marquant une coupure nette dans votre relation et abandonnant définitivement ta position d'héritier. Il ne te restait que ta mère et ta grand-mère, ferventes adeptes du culte gardnerien.

Après cet épisode, Skylar était resté dans le coven, mais votre relation n'a plus jamais été la même. Vous vous cantonniez à une entente cordiale. Une nouvelle tête vint rejoindre le coven. Une adolescente du nom de June. Très rapidement, elle finit par prendre la place de Skylar et vous passez tous les sabbats ensembles. Tu l'as aimée, June. Pas autant que Skylar. Tu n'aimeras probablement plus jamais comme ça. Mais tu l'as aimée. Sincèrement et passionnément. C'était ta compagne et ta meilleure amie. Une épaule sur laquelle te reposer à présent que celle de Skylar s'était éloignée. Tu n'as découvert que bien plus tard ce qu'il se passait réellement. En parallèle, ton demi-frère se faisait plus méprisant à ton égard. Nouvellement investit de la position d'héritier, il prenait un malin plaisir à t'écraser afin de rester dans les bonnes grâces du paternel. Attaquant tes croyances, ton identité, de même que ta sexualité. Piétinant tout ce qui t'était cher pour gagner l'approbation de votre père. L'amour fraternel que tu avais pu éprouver laissa place à la même haine que tu vouais à votre géniteur.

Ton monde s'effondre quand tu vois leurs corps entremêlés. Sky et June. Les deux piliers de ta vie ensemble, dans ton dos. Et ce sourire. Le sourire triomphant et moqueur de Skylar, te renvoyant toute la haine et la colère qu'il éprouve à ton égard. Il t'explique, te dis que June s'est servie de toi pour l'avoir lui. Elle se contente de fuir ton regard, honteuse. Une fois encore, tu t'emportes. De tout l'amour que vous aviez pu éprouver l'un pour l'autre, il ne reste plus que de la violence. Les cris de June, les larmes et vos poings qui s'abattent sur le corps de l'autre. Ca se fini comme ça. Sous la chaleur du Quartier Français, la nuit s'engorge d'une nouvelle odeur, parfum de fleurs pourrissantes et carnivores, se nourrissant et s'affalant l'une dans l'autre dans une ultime embrassade au goût de fer, de sang. C'est la dernière fois que tu l'as vu. Il a quitté le coven le jour suivant, en moins sale état que tu ne l'étais. Il aurait rejoint un coven de la Blue Star Wicca. Plus tolérante à l'égard de votre orientation.    

Toi, t'es resté au coven, avec June. Tu as fini par lui pardonner, en partie. Vous êtes restés amis et amants occasionnels, mais jamais rien de plus. Tu t'es lancé dans des études d'art. Tu te plonges dans tes études pour oublier la noirceur tapie en toi. Celle que ton culte reniait. Tu ne te sentais plus à ta place au sein de la communauté. Nulle part en fait, dans cette vie sans lui. La vie universitaire est calme et agréable. Tu te fais des amis, découvre la vie que les jeunes de ton âge mènent malgré un certain décalage entre vous. Tu ne sais pas quoi faire d'autre et tu n'oses pas te lancer dans la vie active et quitter le cadre rassurant de l'académie. La vie du coven quant à elle reste plutôt calme, tu accèdes même à l'élévation au cours des années. Mais tu ne te sens toujours pas à ta place. Tu finis par découvrir les autres branches wiccanes et à t'y intéresser sans jamais oser prendre contact avec un autre coven.

C'est suite au décès de ta grand-mère que tu te décides enfin à avancer. Tu enchaînes les initiations et les rencontres jusqu'à trouver ta place dans la tradition faerique. Plus sombre et moins rigide que ton culte d'origine. Tu décides de te rapprocher de tes racines et pars pour l'Irlande, terre de tes ancêtres, pour finir tes études. Tu les continues jusqu'au Doctorat, te faisant un nom dans le domaine. En parallèle, tu continues à pratiquer les arts de même que la sorcellerie. C'est un peu par hasard que tu atterris en Nouvelle-Zélande, l'envie de nouveauté, des terres encore inexplorées. Tu y vas surtout pour suivre ta copine de l'époque. Lullaby.

Tu l’aimais Lulla, cette lueur sauvage qu’elle avait dans le regard, un présage d’emmerdes alors que toi, tu cherchais que ça, te sortir d’un quotidien morose. Toi, le type à la vie trop banale, t’as foncé à tête baissée dans ses bras par ce qu’il n’y avait que contre son corps que tu te sentais vivant, par ce qu’elle avait au moins autant besoin de toi que toi d’elle. Elle avait la rage au cœur, ce fort sentiment d’injustice qui lui collait à l’être et qui t’animait, toi, celui qui ne cherchait qu’une raison d’exister. T'as tout donné pour ses convictions, tu les as épousées sans jamais te poser de questions. Vous vous aimiez à deux, comme des malheureux. Lulla c’était ton diable, ton héroïne, ta nicotine, celle qui hantait tes veines, qui t’as crevé jusqu’à la moelle. Elle était là, au plus profond de ton corps, cette haine qui t’as consumé et recouvert cet amour inouï que tu lui vouais. Lulla c’était ta poupée de velours, aux mots acérés qui écorchaient ses lèvres qui devraient rester scellées, par ce que c’était tout ce qu’elle aimait, Lulla, détruire les images, prendre les cœurs pour les écraser. Vous étiez deux êtres brisés tentant désespérément de faire coller leur fêlures pour se compléter, vous abîmer un peu plus l’un l’autre pour mieux être ensemble. Vous étiez cons et bien trop jeunes, vous rêviez de faire comme dans les films, de tragédies, de finir la gueule en sang tout pour fuir le bonheur surfait qui vous pendait au nez. Et là elle vient de te percuter avec la délicatesse d’un bus d’écoliers, la tragédie.

Tes poumons se sont remplis de daturas alors qu'elle s'est retrouvée marquée par la fleur. Mais elle est morte en couche, ravagée par la graine d'un amour qu'elle ne te rendra jamais. Lulla ne t'aimais pas et pourtant elle est morte pour vous, à cause de vous. Si tu ne l'avais jamais rencontrée elle serait encore en vie. C'est ce que tu te répètes, inlassablement, parce que tu ne peux pas lui en vouloir, alors c'est toi que tu maudis, t'empêchant d'être heureux. Tu couches ton malheur, lui donne forme et petit à petit tu te fais un nom, ton mal-être plait, il paye, alors tu l'entretiens.

Aujourd’hui, l’ivresse anime ton corps alors que tu vagabondes en ce monde tel un chien errant, que tu te traines dans les ruelles, un goût d’amertume sur ta langue écorchée. A chaque crépuscule tu perds davantage pied avec la réalité, il n’y a que Caddie qui t’y raccroches encore un peu, à cette vie sans elle, cette vie où tu ne te retrouves plus et tout te semble avoir le goût de cendres. Autrefois tu luttais pour Lulla, pour cet enfant auquel elle voulait offrir un monde libre, mais tu t’es perdu sur ce lit d’hôpital, balayé par ses dernières expirations, vidé de toute envie. Tu bois, la nuit, pour ne pas hurler une fois que Caddie s’est endormie, tu ne la vois pas se glisser hors de son lit, écouter les bouteilles qui roulent rythmées par les cliquetis de la pendule sans jamais oser franchir la porte pour te montrer qu’elle est là, être ton ancre dans les ténèbres, mais elle ne comprend pas, Caddie, c’est une enfant, et toi t’es trop con pour te sortir de ta léthargie. Tu te contentes de laisser ta bile d’amertume s’écouler depuis tes doigts, noircir les pages de tes pensées les plus noires, parfois teintées d’élans de folie lorsque tu te laisses emporter par les rêveries sombres que t’inspirait Lulla de son vivant. Ya même des jours où t’as l’impression de la retrouver au fond de ton verre, d’entendre sa voix qui te glisse des idées, comme autrefois. Alors tu bois, pour oublier et te souvenir à la fois, tu ne sais plus et tu ne veux plus vraiment savoir tu te contentes de te laisser porter.  Alors t’écris tout et n’importe quoi, tu offres au monde l’incohérence de ton esprit malade.

Lorsque le jour se lève tu enfouis tes tourments, même si elle peut les lire derrière tes verres noircis, Caddie sait, malgré son jeune âge, malgré le fait que tu ne lui aies jamais donné l'occasion de te connaître. Elle sait que tu mens, tu le lis dans son regard et ça t'effraye, par ce qu'elle est plus mature que toi, par ce qu'elle t'aime malgré tes tares et ta connerie et que tu n'aies jamais su être le père qu'elle méritait, que t'y arrives tout simplement pas. Elle ne te le demande pas et ça te fend le cœur. Cette gamine t'arrives pas à l'aimer, tu sais pas comment on fait, avec Lulla c'était tordu, elle t'as jamais appris comment bien te comporter. T'essayes, tu joues avec elle mais tu sens qu'il y a quelque chose qui cloche, ce mal-être qui te prend les tripes et qui te glisse que ça devrait être mieux, qu'enfouir ta peine et jouer les pères pendant la journée ça ne suffira jamais. Ça te bouffe. Par ce que t'es trop con. Par ce que t'es un gosse, une loque qui se cherche encore... Alors comment tu pourrais façonner une personne, toi le con qui n'est rien ? Caddie elle y croit, elle t'aime ta fille, comme jamais Lulla n'aurait pu le faire, elle n'a que toi, mais ça, t'es encore incapable de le voir, ou plutôt de l'accepter. Tu devrais te relever, faire face et t'en as aucune envie. T'es un lâche.  

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COEUR A PRENDRE
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Le contexte est chouette j'ai beaucoup aimé certains pré-liens mais n'ai pas trop osé me lancer j'espère ne pas faire de bourdes