lukas » des nuits blanches qui se penchent sur les petits matins

Il t'a parlé d'une sortie en amoureux et t'es tombé dans le piège.

T'aurais pourtant dû flairer la bêtise lorsqu'il t'a demandé d'enfiler un jogging et de bonnes baskets – personne, entre vous deux, personne n porte de jogging et de bonnes baskets en temps normal. T'as dû fouiller tes placards un moment pour les retrouver, d'ailleurs ; déjà suffisamment surpris d'en avoir acheté.

Sûrement à une époque où tu voulais te mettre au sport pour affiner un peu tes muscles, tout ça tout ça.
(balivernes vite oubliées)

Tu observes le mont Eden d'un regard complètement vidé de toute substance tant tu es sur le cul. Tu tournes la tête vers ton amant lorsqu'il prend la parole, papillonnant des yeux comme s'il vient de te réveiller d'un mauvais rêve. « Pour une surprise, ça en est une, oui. » Soupir profond, tu viens lui retirer la cigarette de la bouche pour l'éteindre et la mettre dans une poubelle pas loin de vous. « Tu devrais commencer par arrêter ça, si tu veux avoir de meilleurs poumons... » Tu viens couvrir un bâillement, c'est qu'il t'a fait lever vachement tôt pour cette foutue randonnée.

Mais bon, maintenant que vous êtes là...

Tu attrapes sa main et t'élances sur le chemin indiqué par un petit panneau en bois. « Je te préviens, dans moins de vingt minutes, je te maudis toi et toute ta génération. » Parce que tu n'es pas sportif, Lukas ; tu ne l'as jamais été et ne le seras sans doute jamais.

Qu'est-ce que tu ne ferais pas pour l'amour de ta vie, hein ?

C'est vrai que t'es surpris. Déjà, Leslie qui organise des sorties de couple, c'est pas commun. Mais organiser une randonnée en amoureux, ça, t'y aurais jamais cru. Tu sens à quel point il fait des efforts et ça te serre le cœur de joie. C'est un sentiment étrange mais pas désagréable. Tu flottes et t'as la crainte que ça se casse la gueule en même temps. T'es trop habitué à tout ruiner autour de toi, tu flippes que tes mauvaises habitudes reviennent à la charge dès qu'elles en ont l'occasion. Leslie ne te laisse pas t'enfoncer dans tes pensées plus longtemps, il tire sur tes doigts, ses lèvres se déposent sur ta tempe et voilà, la fumée noire s'est envolée. Les voix se sont tues. C'est si simple, parfois. « Ah ! Qui te dit que j'ai peur de leurs fantômes ? » Demandes-tu, taquin, lorsqu'il te parle de te faire hanter par ses ancêtres.

Ses doigts s'enfoncent dans la peau de tes joues, tirent dessus, te forcent à dessiner un sourire sur ton visage. Tu ne peux t'empêcher de rire un peu, d'essayer de te dégager, uniquement pour lui faire un sourire encore plus grand, encore plus vrai. « Tu sais bien que je le suis, Leslie. » Que tu avoues plus doucement, parce que tu es toujours un grand pudique des sentiments, parce que vous avez beau vous être remis ensemble, tu as beau avoir cessé de cracher ces digitales pourpre, ça reste compliqué à dire, tout ce qui se cache dans ton cœur. « Tu n'as pas la moindre idée de ce qu'on va faire, n'est-ce pas ? » Que tu lui demandes alors, riant encore. Ton corps qui se décide en premier, qui s'élance vers le chemin escarpé, tirant sur son bras pour l'entraîner. « On va se perdre. Se perdre, glisser et mourir. Ou se perdre, ne jamais retrouver le chemin de la maison et nous bouffer entre nous. Ou... » Tu lèves le nez vers la montagne, observes le sommet quelques instants. Tu fixes ton objectif et tu souris. L'air sincèrement heureux – bien trop pour quelqu'un qui est censé flipper à l'idée de mourir. « Ou arriver là-haut et admirer la vue ensemble. » Peut-être bien que ce n'est pas si mal. Peut-être bien que ça vaut le coup. Ouais.

Et vous voilà à grimper,
grimper encore,
grimper
ensemble.