Milo ~ Cours Particulier

Tu achèves ta tasse d'infusion à la camomille en jetant un œil à l'horloge. 15H30, tu as une demie heure pour te préparer. Même si tu n'as pas masse de préparatif à faire, la visite n'étant que d'ordre amicale et à but artistique. L'appartement est déjà bien rangé également, entretenue comme à votre habitude.
Mais tu ne peux t 'empêcher de te sentir préoccupée, est ce que tu as bien fais d'inviter quelqu'un chez toi, chose que tu ne fais que trop rarement, et encore plus un homme âgé que tu n'as rencontré que deux ou trois fois pour ne parler que de dessin et de peinture. Tu n'as pas pensé à ces détails quand tu lui as proposé, trop heureuse de l'idée de cours particulier.

- Tu vas inviter un homme à la maison ? C'est rare... je vous laisserais l'appartement cet aprem, on ne sait jamais.

Le commentaire de ta coloc, sûrement plein de son ironie habituelle sur le caractère inhabituel et pernicieux de la rencontre ne t'as pas aidé. Tu as tenté de rétorquer qui n'avait rien d'ambigu, mais ça ressemblait trop à de la justification. Alors tu as marmonné un «  Ce n'est pas ce que tu crois », visage rouge, ayant le mérite de la faire rire, rétorquant en te posant une main sur ton épaule :

-Tu fais ce que tu veux, Nanihi.

Contact si furtif qui te fais accélérer le cœur, qui ne ralentit pas alors qu'elle quitte le logement.

Ce souvenir d'il y a quelques heures te remet dans le même état. Tu soupires, met de coté ce moment pour aller préparer le chevalet et les divers matériels artistiques.Tu as hâte de voir ce que va donner ce cours d'un artiste réputé, au moins dans la ville. Tu apprécies son travail, et pouvoir lui poser des questions sur votre passion partagé te ravis, tu espères qu'il te donnera des conseils sur tes dessins.

La sonnette retentit, te fais sursauter. Tu n'as pas vu le temps passer. Machinalement, tu passes une main dans tes cheveux pour les remettre d'aplomb et respire un grand coup avant d'ouvrir la porte. Masque ton trouble par un sourire, trompé par tes balbutiements. Lui tends la main en même temps que tu le salues.

- Bon...Bonjour Milo ! Entrez donc … !

Tu lui fais signes et le laisse passer, le rejoignant dans le salon.

- Vous allez bien ? Euh... vous voulez quelque chose à boire ?

Ton cœur à du mal à se calmer, tu te maudis intérieurement.

Comme à chaque fois, le réveil te tire une grimace douloureuse. L'âge n'est pas encore celui des rhumatismes mais la migraine qui pulse à l'intérieur de ton crâne te remémore les excès de la veille. Encore un matin difficile en perspective. L'ongle grattant nonchalamment le début de barbe qui menace d'envahir le bas de ton visage, tu jettes un coup d’œil en direction de l'heure : 14h08.

Ah.

Pour la matinée volée, tu repasseras. Ton regard s'attarde cependant sur la date. Elle te semble étrangement familière mais tu es bien incapable de savoir pourquoi. Tu te dis que peut-être, si la raison derrière est importante, tu auras bien un flash au cours des prochaines heures. Si ce n'est pas déjà trop tard. Tu rejettes ces inquiétudes, prenant plutôt la direction de la salle de bain. Au contact de l'eau chaude, tu sens tes muscles se détendre et bientôt, un sourire se dessine même sur ton visage fatigué. Pris d'une envie soudaine, tu en profites pour te raser dans la foulée. Mais alors que tes paumes pleines de mousse s'abattent sur tes joues, l'illumination te frappe.

C'est aujourd'hui que tu dois revoir cette étudiante en art. Quelque chose comme un cours à domicile. Tu sors en trombe de la salle de bain, heureux comme jamais de vivre seul pour traverser la chambre nu comme un ver, histoire de pouvoir jeter un œil au calendrier accroché au mur du salon. Un cadeau de ta fille. Pour éviter les oublis. Indispensable selon elle. La réalité s'imposa à toi sous la forme d'un petit cercle au feutre rouge à la date du jour, couplé à une brève succession de chiffres : 16h00. Merde, tu es à la bourre !

Pas le temps pour le rasage. Tu t’essuies à la hâte, enfilant le minimum de ce que la société exige pour sortir et paraître décent avant de te précipiter vers l'arrêt de bus le plus proche. Par chance, un véhicule approche et tu sautes à l'intérieur. Si tes souvenirs sont bons, la gamine habite dans le quartier universitaire. Une dernière vérification de l'adresse en question s'impose avant que tu ne t'autorises un long et profond soupir. Tu devrais être dans les temps. Si ton illumination pareille à celle de la Vierge Marie avait frappé 30 minutes plus tard, tu ratais le bus et ce qui s'ensuivait. Ton image de mentor était en jeu !

Arrivé à destination, tu reprends contenance. Ce quartier, tu l'as foulé de tes pieds des années auparavant et la nostalgie s'empare de toi alors même que tu te diriges à l'adresse indiquée. Tu sonnes, t'octroyant quelques précieuses secondes pour rajuster tes vêtements et la porte s'ouvre immédiatement après. La figure familière de Nanihi surgit dans l'encadrement de la porte et tu peux dire avant même qu'elle n'ouvre la bouche à quel point elle semble nerveuse. Agitée presque. La voir dans cet état t'amuse autant que ça te peine. Tu ne te penses pas si impressionnant pourtant.

« Bonjour Nanihi ! »

Ta voix se veut chaleureuse, comme à ton habitude tandis que tu viens serrer cette main tendue dans ta direction. Tu ne peux pas angoisser ton interlocutrice plus qu'elle ne l'est déjà, même si tu n'es pas friand de ce genre de salutation, beaucoup trop formelle à ton goût.

« Ah, un verre d'eau, ça ne sera pas de refus ! » Ta gorge te le réclame d'autant plus avec ta course jusqu'à l'arrêt de bus. « Je vais bien merci. Et toi ? Les cours ça va ? »

Ton côté paternaliste qui ressort. T'y peux rien. La gosse pourrait être ta fille. Laissant cette dernière s'affairer de son côté, tu laisses ton regard parcourir les lieux, sans s'attarder sur un quelconque détail.

« Tu es bien installée ici... La fac est à deux pas. » que tu commentes nonchalamment, la remerciant ensuite pour le verre d'eau, que tu retiens difficilement de vider d'une traite.

« Tu es sûre que tout va bien ? »  

Une tentative comme une autre pour lui faire prendre conscience de son agitation. Et peut-être engager la conversation. Pour avoir une chance de détendre l'atmosphère qui sait ?

Tu te sens ridicule, à être troublé par la simple visite d'un homme. Ce n'est pas comme si il s'agissait  d'une rencontre intime, alors tu n'as aucune raison de réagir comme ça. Peut être que faire rentrer quelqu'un dans ton espace personnel est bien plus compliqué que tu le pensais.
Tu hoches la tête à sa demande, file dans la cuisine en essayant de ne rien laisser paraître de ta gêne.

- Oui, je vais bien, les cours c'est toujours aussi passionnant, nous sommes entrain d'étudier l'art maori c'est fascinant. Les partiels approchent à grand pas par contre, j'appréhende plutôt.

Ça te vaut des nuits blanches depuis une semaine.Même si tu n'as pas besoin de beaucoup de sommeil, tu es bien contente d’être en week end pour te reposer.

Tu rejoinds l'invité dans le salon, lui tendant son verre d'eau. Evidemment, tu n'as pas reussis à masquer ton tumulte interne, vu sa remarque. Tu te passe une main dans les cheveux, les joues devenu légérement tomate.

- Oui euh... ça va, c'est juste que euh... je n'ai pas l'habitude de recevoir du monde chez moi...

Tu es surement trop honnête, mais tu préféres en plaisanter, lachant un petit rire pour détendre l'athmosphére autant que pour t'apaiser. Ca marche tant bien que mal.

Tu t'assois dans le canapé, l'invitant à en faire de même, ouvrons un paquet de biscuit aux amandes, tes favoris.

- N'hésitez pas à vous servir, et à me demander si vous avez besoin de quelque chose. En tout cas, merci d'avoir accepté de venir pour me donner un cours, j'espères ne pas trop prendre sur votre temps. Il tombe bien hum... je bloque pas mal sur les portraits dernièrement, plus le temps passe, plus ils me paraissent manquer de réalisme, je n'arrive pas à progresser techniquement parlant et j'ignore pourquoi...

Ce qui t'agace, car les portraits de gens est ce que tu apprécies le plus dessiné, revelateur de l'identité d'une personne et tellement parlant.

Un tendre sourire se dessine sur tes lèvres devant la tournure si naturelle que prend votre conversation. Celle d'une étudiante se confiant sur ses doutes quant à ses résultats scolaires, une préoccupation majeure à cet âge de la vie. Sous ton regard d'adulte aguerri, de telles appréhensions te paraissent soudain superficielles. Candides mêmes. Mais tu supposes que ça fait tout le charme de la chose. Le verre de nouveau pressé contre tes lèvres, tu es aux premières loges pour remarque ce joli rouge qui inonde les joues de la jeune femme. Ton but n'es pourtant pas de l'embarrasser à ce point, simplement essayer de la mettre à l'aise. C'est raté.

« Oh... »

L'explication ne tarde pas à t'être fournie et tu ne sais pas vraiment quoi répondre sur le moment. L'espace d'une fraction de secondes, tu te sens même de trop en ces lieux, à la manière d'un invité indésirable qui se serait incrusté de force.

« C'est vrai qu'on avait toujours échangé dans un lieu public jusqu'à présent... »

Mettre des mots sur la réalité de leur situation n'arrange rien à ton malaise et tu tentes de te rattraper comme tu peux :

« Tu veux qu'on aille ailleurs ? Je suis sûr qu'on peut s'installer dans la cour du campus par ce temps. »

Surtout un week-end. Vous ne risquez pas d'être importunés par le va et vient incessant des étudiants qui arpentent le campus tels des fourmis. Tu as vraiment envie de la mettre à l'aise. Lors de vos précédentes rencontres, tu as bien remarqué la timidité de Nanihi. Si le fait de te recevoir la gêne à ce point, tu es tout disposé à quitter l'appartement dans la foulée. Mais contre toute attente, ton interlocutrice souhaite persévérer dans cette voie, s'installant dans le canapé et t'invitant même à en faire autant. Tu t'exécutes aussitôt, veillant toutefois à ne pas t'asseoir trop près.

« Les portraits hein ? » répètes-tu songeur.

Vrai que ce n'est pas l'exercice le plus facile. A tes yeux en tout cas. Savoir retranscrire une expression, une lueur dans le regard pour rendre le dessin vivant... Ce n'est définitivement pas à la portée de tous les artistes, y compris parmi les plus expérimentés.

« Ch'est loin d'être évident... » que tu ajoutes en grignotant distraitement un biscuit aux amandes si gentiment proposé.

Et tu en sais quelque chose, pour en avoir longtemps fait ta spécialité. Même si aujourd'hui, les portraits de ta femme ne te serrent plus le cœur comme avant...

« Et qu'est-ce qu'en disent tes professeurs ? »

Sans doute pas grand-chose pour que l'étudiante se sente obligée de demander de l'aide à un vieux comme toi. Mais avant d'aller plus loin dans ton diagnostique, tu as besoin de plus d'informations pour mieux cerner le problème et tenter de prodiguer un ou deux conseils à Nanihi. Qui sait quelles méthodes la jeune femme avait tentées avant de faire appel à toi.