Des airs floraux dans l'air / Leigh

Un besoin irrésistible de faire quelque chose pour m’enfuir un peu de là ; pour oublier les problèmes du quotidien, combien le métier est dur, surtout quand on a des bons à rien en face de soi. Une envie de retourner faire de l’arrangement floral, parce que finalement ces fleurs sont aussi éphémères que moi, que l’amour porté à un être cher. Je ne comprends toujours pas pourquoi de temps à autre, je crache des feuilles fanées de lotus. Enfin, j’ai juste l’impression que je ne pourrais pas me débarrasser de ce problème rapidement. Il a l’air de concerner toute la population de ce pays ; pas comme si j’étais le seul à qui ça arrivait.

Je suis dans une période un peu sombre, une partie de moi est entrain de partir en vrille complet alors que je m’octroie des soirées où les cadavres de bière s’entassent plus vite que je ne l’aurais pensé, dans ma benne à ordure. Le cendrier bien plus plein qu’habituellement aussi et je me demande comment j’arrive encore à garder une peau de jeune homme. Je sais que je fais attention tous les jours, en journée où j’ai de quoi multiplier les séances de sport et quand je m’occupe de mon gamin, forcément, je fais davantage attention à notre hygiène de vie mais… le soir, les idées noires reviennent et tout bascule.

Je voudrais pouvoir oublier toutes les blessures passées mais je n’y arrive pas. Et ça ne s’arrange pas quand parfois Asher me demande où est sa maman. Quoi lui dire ? Il est encore trop jeune… Tu sais mon fils, en fait ta maman a décidé de se casser et de t’abandonner après ta naissance. Ne me demande pas pourquoi, elle a juste fait sa lâche et nous a laissé tous les deux, un peu démunis.

Je ne peux décidément pas raconter ça à mon enfant. Et même quand il sera en âge de comprendre, comment le lui dire exactement. Ce sont ces paroles, ce souvenir d’elle partant comme ça, me laissant, qui me font si mal au cœur. L’impression que mon cœur n’a pas été déjà assez fracassé comme ça… Je ressasse les choses, même si mon psy a dit que c’était très mauvais et que cela n’arrangeait en rien la maladie. Alors, pour oublier la douleur, pour oublier tout ça, je me suis réfugié dans l’Ikebana – l’arrangement floral. Un temps éphémère mais d’une beauté exceptionnelle.

Ce jour-là, j’ai pris une heure et demie de leçon à la seule école d’arrangement florale que l’on peut trouver en Nouvelle Zélande, à Auckland. Je ne suis pas certain qu’ici la population soit hyper fan des traditions japonaises mais bon, j’ai quand même réussi à trouver un endroit pour pratiquer cet art. Bien qu’avec le boulot et le petit, ce soit un peu compliqué, j’arrive tout de même à suivre les cours assez assidûment. Forcément, mon objectif, c’est d’arriver à faire des œuvres d’art. Même si ça ne servira pas à grand-chose, avoir la satisfaction d’être parvenu à quelque chose de parfaitement réalisé est tout aussi gratifiant pour moi que n’importe quelle autre chose. L’ikebana et le baseball sont deux activités qui me permettent vraiment de rester lucide et de redevenir le Lawrence joyeux que je suis censé toujours être.

Comme Asher ne peut pas venir avec moi, je le dépose chez ma demi-sœur Miwai avant de me rendre jusqu’à l’école. En plein centre de Queen Street, c’est toujours une plaie d’arriver à se garer et forcément ça m’énerve car je crains toujours d’arriver en retard après. Bon heureusement, non, je suis pile poil. Et sans aucune surprise, en arrivant, je suis à nouveau le seul homme du cours. Il reste une seule place et elle se trouve à côté d’une jeune femme. J’ai le temps tout de même de choisir mon vase ainsi que les fleurs que je vais utiliser pour ma composition. Je choisi des magnolias ainsi que des fleurs de Manuka, un peu de feuillage de palmier vu que c’est ce qu’on trouve le plus par ici et des branches mortes. Je prends un vase plat et creux en me disant que je devrais bien arriver à faire quelque chose de ça et je vais m’installer à côté de la demoiselle en question. Je sais que tous les regards sont portés vers moi ; il y a les habituées qui trouvent quand même ça surprenant que je continue de venir alors que d’après elle, je ne suis pas très fort. Et alors ? Je continue d’apprendre non mais. La professeure nous annonce que nous allons commencer avec quelques minutes de retard ; un truc urgent à régler. Ça laisse le temps de faire connaissance…

« Bonjour, je m’appelle Lawrence et vous ? »

Un homme avec un nom de femme même s’il est prononcé à l’anglaise qui vient faire de l’arrangement floral ; on aura tout vu.

Des fleurs bien choisies, une jeune femme aux ongles bien manucurés et des voix qui s’élèvent juste derrière nous. Ah, comme si je ne m’y attendais pas tiens ! Ce n’est pas la première fois que l’on me dit ça… Je croyais que c’était que pour les nanas, l’ikebana… et ta mère, je lui demande si elle baise encore ? Légèrement grognon sur les bords car je sais que cette demoiselle se moque assurément de moi. En quoi, est-ce un délit qu’un homme puisse pratique cet art ? Je sais que c’est très rare et alors ! C’est un art comme un autre ; je ne suis pas fan des Maoris bien que j’aie du sang lointain dans les veines, de cette communauté de notre beau pays alors j’ai décidé de m’approprier la culture et l’art d’un autre pays. En fait, je ne sais même pas pourquoi je me prends la tête tiens. Après m’être présenté, elle fait de même, me permettant ainsi de répondre à sa taquinerie qui néanmoins m’a presque vexé. Personne n’est au courant que je pratique cet art… A part mon meilleur ami.

« Eh bien on va dire que la donne a changé, miss Leigh. Enchanté de même. Je ne t’ai jamais vu avant… C’est ta première fois je suppose ? »

Je me permets de la tutoyer, elle n’a pas l’air plus âgée que moi et nous ne sommes pas obligés de garder un cadre ultra formel. C’est ce qui est bien en Nouvelle Zélande, ça reste tout de même amical entre inconnus.

« Si t’as besoin d’aide, tu n’as qu’à demander ; après tout, l’élève va bientôt dépasser le maitre huhu. »

J’entends les dames derrière nous s’offusquer de ce que je viens de dire. Hé les vieilles, ça fait quelques années maintenant que je pratique cet art, vous croyez que je ne me suis pas perfectionné jusqu’à maintenant ? Un peu orgueilleux de dire cela mais en même temps, je ne peux pas nier que je deviens quand même bon ! Enfin, je n’oublie pas néanmoins qu’en pratiquant cet art j’ai un certain objectif : celui d’oublier un instant tous mes problèmes, la maladie qui progresse de jour en jour parce que je suis trop empêtré dans ce chagrin d’amour, cette trahison infâme qui gangrène la moindre parcelle de mon corps. Je respire enfin.

« Je suis curieux ; qu’est-ce qui te motive chère demoiselle à venir pratiquer l’ikebana par une fin de journée ensoleillée ? »

Pour sûr, qu'elle ne se méprenne pas, je ne suis pas en train de la draguer, loin de là ; je suis juste un peu curieux. Les dames présentes dans la salle ont pour la plupart des origines japonaises alors forcément, elles veulent retrouver un peu de leur pays. Et puis, il y en a une qui aime tellement les fleurs qu’elle a trouvé une vraie passion en l’arrangement floral. La prof arrive enfin pour commencer le cours.

« Bonjour à tous, aujourd’hui, nous allons aborder le thème de la sobriété. Je veux qu’à travers votre arrangement, on puisse sentir la sobriété et que la spiritualité liée à cet art puisse ressortir de tout votre être. »

J’aurais limite préféré qu’elle nous fasse un cours sur l’harmonie des fleurs dans une composition mais en soit, c’est bien aussi ce genre de thème. Ça met la concentration et le lâcher prise à rude épreuve. J’ai toujours du mal à rester dans le simple, dans le sobre parce que je réfléchis toujours trop à trente milles solutions pour rendre la chose la plus jolie possible.

La demoiselle est donc fleuriste ; c’est assez rare de voir une fleuriste se joindre à un groupe d’amateur d’arrangement floral par ici. De mon point de vue, le fleuriste connait déjà les bonnes compositions à effectuer quand il réalise des bouquets. Mais peut-être veut-elle se diversifier. Après tout, il n’y a qu’en se diversifiant que l’on peut arriver à un savoir bien plus important et proposer quelque chose de nouveau à ses clients a aussi du bon. En y réfléchissant bien, ça fait genre le mec qui sait tout alors que pas du tout. Mes pensées vont trop loin dans la réflexion, je devrais penser plus pratique tiens et arrêter de me faire des films. La prof annonce ensuite le thème de la composition que l’on doit faire aujourd’hui et je dois dire que c’est un bon point car c’est ce que je sais faire de mieux la sobriété. Leigh me demande si je sais y faire et je préfère répondre honnêtement ; ça ne fait pas de mal de temps à autre.

« C’est ce que je sais faire de mieux la sobriété donc je peux t’aider si jamais. Je suppose qu’en tant que fleuriste, tu cherches plutôt à créer quelque chose de grandiose non ? »

Je n’irais pas lui dire qu’en tant que romantique à souhait, j’allais souvent lui acheter des fleurs… N’y pense pas Law sinon tu vas encore cracher tes poumons et je déteste cela. Tranquillement, j’attrape mon vase puis les fleurs et différents feuillages que j’ai choisi auparavant. Je me reconcentre dans ce que je dois faire et oublier. Oublier qu’au fond de moi, j’ai encore mal de ce qu’elle m’a fait, de cet amour qui a disparu du jour au lendemain quand notre enfant est né. Je prends d’abord un temps de réflexion pour savoir ce que je pourrais faire. C’est aussi ça l’art de l’arrangement floral à la japonaise ; réfléchir à ce que l’on veut faire passer.

« En fait, pour faire une composition florale de ce genre, d’abord faut réfléchir un minimum à ce que tu veux faire passer comme message, ce que tu veux faire véhiculer. Puis, t’assemble et tu vois. La recherche de l’excellence, si tu vois ce que je veux dire. »

Après quelques minutes de réflexion intense, je commence à tailler les fleurs comme elles doivent être taillées. Une plus grande, une moyenne et une plus petite car elles vont former un triangle. Les branches que j’ai prises, je ne sais pas trop encore où je vais les mettre. J’aime la sobriété, habituellement, je n’ai pas trop de souci à faire dedans mais je me dis que j’ai peut-être un peu trop choisi de fleurs ou de feuillages. Je continue de m’adresser à Leigh tout en exécutant mon œuvre.

« Faire sobre, c’est faire un truc stylé avec peu de choses finalement. Je pense pour ma part avoir pris trop de feuillages. Bon après, tu n’es pas obligée de tout mettre tu vois. »

J’espère que mes conseils sauront l’aider. Ah si, tiens j’ai peut-être une idée ! Je commence à prendre la branche un peu tordue et la met sur mon vase. Elle fera toute la longueur, ça ira très bien. Ensuite, je coupe quelques feuillages pour l’intégrer sur le kenzan au bord de l’extrémité droite de la branche. C’est plutôt pas mal déjà comme ça. Il manque plus que les fleurs et je pense que je vais en mettre qu’une seule. Je prends ma tige de fleurs de manuka et je la pose au centre sur le kenzan après l’avoir coupé à la pointe pour qu’elle puisse s’enfoncer facilement. Ça me parait pas mal en fait.

« Hum, ça me parait plutôt pas mal comme ça ! »

La prof qui passe régulièrement dans les rangs pour voir si nous nous en sortons est plutôt bluffée de mon travail. Deux fausses notes : trop de feuillages de palmier, et il faudrait une autre tige de manuka. C’est elle la pro bien sûr hein mais je trouvais vraiment que ça le faisait comme ça. Râlant un petit peu dans mon coin, je finis par apporter les modifications suggérées par la prof. Insatisfait je dois dire.

« Mouais… Bon, tu t’en sors comment demoiselle ? »

J’écoute avec attention la demoiselle me donner des indications sur comment doit être un bouquet en temps normal. C’est vrai que fleuriste et arrangement floral ne vont pas forcément de pair ; tout au plus, ça pourra lui donner des idées de compositions à vendre. Je ne suis pas non plus un fin connaisseur donc je la crois quand elle m’explique qu’un bouquet est quelque chose que l’on offre donc il sera presque automatiquement plus chargé. Faut que ça en jette quoi, alors qu’il est vrai que l’ikebana, c’est plutôt le sens de l’esthétique qui est demandé et sujet à l’introspection.

J’en profite pour jeter des regards vers elle, de temps à autre tout en composant. Je suis plutôt surpris du résultat qu’elle a fait, mais j’aime bien. Je trouve ça zen, pas forcément hyper sobre en fait par rapport aux bouquets de fleur que je peux voir habituellement, mais ça dénote d’une profonde harmonie en tout cas. Ho, voilà que je parle comme la prof moi… Enfin, je pense ça mais sans doute que la prof trouvera ça pas assez sobre à son goût. C’est souvent comme ça de toute manière.

« Oui c’est certain haha mais remarque, si tu n'as qu’un petit bouquet de rose, en soit c’est sobre non ? Elles se suffisent à elles-mêmes mais si tu ne rajoutes rien, on peut dire que c’est sobre non ? »

Enfin, je demande et j’expose mon point de vue mais je ne suis pas fleuriste donc peut-être que je me trompe lourdement. L’heure tournait en plus de ça et la leçon allait bientôt être finie. C’était à présent l’heure de faire étal de ses créations et de donner son ressenti, le message que l’on voulait faire passer aussi. J’avoue n’avoir écouté qu’à moitié ce que disaient les femmes, pour moi c’est juste un passe-temps pour oublier mes problèmes, pour oublier la maladie et… elle. Enfin, ça devient une passion l’arrangement floral je ne saurais dire pourquoi par ailleurs. C’est peu commun qu’un homme taillé dans du roc comme moi fasse ce genre d’activité où la plupart des personnes étant des femmes, ont les ongles hyper bien manucurés.

« A vous Monsieur Miller et on terminera par Mademoiselle Wright. »

« Euh… Hum… J’ai juste assemblé les fleurs que j’aimais bien et essayé de faire une composition propre tout en voulant que ce soit bien exécuté. »

« Comme toujours Monsieur Miller, vous êtes vague dans vos explications et votre ressenti. Moi ce que je vois dans votre composition, c’est quelqu’un de perfectionniste qui veut toujours atteindre ce degré de perfection. Un esprit torturé également. »

Et merde… Elle a tout de suite très bien compris l’intention caché derrière cette composition. Il est vrai que je suis un purée de perfectionniste sur les bords ; en même temps, mon travail ne me laisse pas le choix que de l’être. Maniaque sur les bords en plus de ça et elle a osé dire que j’avais l’esprit torturé juste en voyant mon œuvre… Argh. Ca la fout mal devant les gens ça. Enfin, est-ce qu’elle va être aussi médisante avec la jeune femme qu’elle a pu l’être avec moi. Je tourne légèrement mon regard vers Leigh en attendant de connaitre la raison derrière sa composition.