Des moments de légèreté - Anthéa

Ma vie est une sorte de chaos intérieur perpétuel et pourtant, il y a ce petit rayon de soleil qui me permet de ne plus y penser, de vider mon sac le temps d’une soirée à s’amuser. Ce petit rayon de soleil c’est Anthéa. En fait, on se comprend. On s’est rencontrés il y a des mois de ça ; lors d’une mission exceptionnelle réunissant mes compétences d’officier instructeur de vol et les gardes côtes de Auckland. Des débris retrouvés d’un avion de chasse qui s’est écrasé il y a quelques semaines de cela. Je devais déterminer d’après les débris que nous allions retrouver et l’espoir de récupérer la boite noire, l’itinéraire de vol emprunté par cet avion. Ça avait fait la une des journaux passés un temps et puis tout le monde avait oublié car l’épave et les débris de l’avion s’étaient enfoncés plus bas dans l’océan. Ce, jusqu’à ce que l’on nous signale que des plongeurs avaient retrouvés « par hasard » divers débris. L’histoire en elle-même est assez mystérieuse et cette fois-ci, je ne suis pas coupable d’avoir donné un mauvais plan de vol ou que sais-je. J’étais en repos la semaine précédant le crash.

Mais bref, c’est lors de cette mission que j’ai rencontré Anthéa ; une demoiselle plutôt joviale, qui aime son travail – ça se voit, et je ne sais pas, le courant est bien passé entre nous. Je ne pensais pas qu’il me serait possible de rester en contact avec une personne, encore moins avec une femme, tant j’ai souffert à cause d’elles. Enfin, avec la jeune femme, c’est différent. Je m’amuse, on rigole bien – et ce n’est pas souvent que j’arrive à m’accorder des moments de légèreté comme ça. Alors de fil en aiguille, on est restés en contact puis on s’est vus plusieurs fois pour se faire des soirées de tous types. Une bouffe, un cinéma, une soirée jeux vidéo ou de société. Après des mois à se voir, on a aussi commencé à se confier l’un à l’autre, nos désillusions amoureuses et toutes sortes de choses. Au départ, c’est dur de se remémorer certains trucs mais à force, en fait, ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler, outre son psy. Ces moments où je vois Anthéa restent tout de même des moments de légèreté, et en tant que papa aussi, je dois un peu me défaire de mon enfant qui grandit sans mère, dont je suis accro et combien je n’aime pas le laisser à ses grands-parents. Oui, parce que mon oncle et ma tante qui sont mes parents adoptifs sont bien techniquement ses grands-parents à mon petit du coup.  

Ce soir-là, à nouveau, je vais laisser Asher chez ma famille et retrouver la jeune femme pour une soirée divertissante. Je ne sais pas trop encore quel est le programme mais on trouvera bien ; on trouve toujours. C’est toujours avec un pincement au cœur que je le laisse, mais ça c’est mon cœur de papa poule et qui n’aime pas l’abandon, quelque soit la forme que ça prend. Puis une fois qu’on s’est fait un gros câlin, je le laisse et prends la direction du North Shore où habite la demoiselle. Il me faut un peu de temps pour rejoindre son habitation et surtout trouver une petite place de parking pour pouvoir me garer. Ce soir, j’ai ramené un pack de bière et une Pavlova un peu glacée qui a permis de rester figée et fraiche durant tout le transport. Bon bien sûr, vu que je suis un peu maniaque sur les bords, je l’ai mis dans un sac de congélation avec des packs de glace. Pas fou non plus. Je finis par sonner à sa porte, jean noir, polo gris et une veste en jean noir car même si nous arrivons sur décembre, il fait encore bon.

« Salut Anthéa ! Je ne suis pas en retard, j’espère… Un petit cadeau pour toi : une Pavlova, je ne sais plus si tu m’as dit que tu aimais ça ou pas. »

J’avoue qu’on parle de tellement de choses qu’il m’arrive d’oublier des trucs. Je me demande ce que cette soirée nous réserve.

Ah un poil en avance, réellement ? Pourtant, je suis parti un peu tard de chez ma famille puisque Asher ne voulait pas me lâcher cette fois-ci. Ça me rassure tout de même d’être à l’heure. Grand sourire en retour du sien, je lui laisse la glacière avec le gâteau dedans puis entre, enlevant mes chaussures pour les laisser à l’entrée. Je viens ensuite la rejoindre dans la pièce, la remerciant de m’inviter à entrer puis m’étire un instant, pose les bières sur la table avant de m’asseoir en face d’elle. Je ris légèrement quand elle me dit qu’avec son emploi du temps bien chargé, elle n’a même plus le temps de se faire à manger correctement et de passer à la boulangerie.

« Ha ne me dit pas ça Anthéa, tu sais bien que je serais capable de venir t’apporter des boites repas pour la semaine entière ! Il me semble c’est la première fois que je t’amène une Pavlova ; c’est un dessert un peu glacé avec de la meringue, de la chantilly et des fruits rouges. J’espère que tu aimes bien ces aliments. »

Je souris ; je sais bien que c’est serré pour elle en ce moment. Beaucoup de travail… Enfin, je ne vais rien dire, je n’ai pas à me plaindre non plus de ce côté-là. Je finis par me lever pour aller l’aider et sors le gâteau de la glacière pour qu’on puisse le servir. Heureusement, il a bien survécu au trajet. Ne serait-ce que de penser à autre chose que mes chagrins, mes regrets me font du bien. Au moral et physiquement. Les fleurs de lotus ont disparu depuis un temps mais parfois un bracelet de ces fleurs revient et je ne sais plus comment m’en débarrasser. Je commence à couper le gâteau quand la miss me demande comment va mon fils, ce qu’il a fait aujourd’hui, et moi aussi. Les deux parts dans l’assiette, je lui pose la sienne sur la table puis fais de même pour la mienne avant de m’assoir.

« Et bien écoute, il va plutôt bien. Aujourd’hui, il était au jardin d’enfant, j’avais du travail ce matin. Puis ensuite, on a joué une partie de l’après-midi et je l’ai parachuté pour la nuit chez ses grands-parents. Mais bon… Tu te doutes bien que fils à papa qu'il est, il n’a pas trop voulu me laisser partir haha… Et toi alors ? Quoi de beau ces derniers jours ? »

Okay, on se parle et on se voit souvent mais chaque jour est différent, en tout cas, dans nos métiers respectifs. Une petite bière dans les mains, j’en bois une grande gorgée avant de sourire à nouveau.

« Est-ce que ça te dit pour ce soir qu’on se fasse soirée jeux ? Mais pas une soirée jeux ordinaire. Genre, celui qui perd, à le droit à un gage ! Tu en penses quoi ? »

Est-ce que ce soir, elle aura l’âme d’une compétitrice ? J’espère bien et je me contente de sourire en mangeant ma part de gâteau ; ah oui, ça fait du bien de mettre un truc dans son estomac.

Je sais très bien que si je fais réellement ce que j’ai dit, la miss va arrêter de se faire à manger et ne compter que sur moi pour ses repas. C’est avec un sourire doublé d’un petit rire que je réponds à ce qu’elle me dit. Avoir un second enfant à charge hein… Ouais non, en fait non, c’est bon, j’en ai assez d’un je crois haha. Je mange mon dessert tout en riant un peu ; elle est marrante Anthéa, c’est ce qui fait que je m’entends si bien avec elle. Alors que pourtant… Comme je disais à Gil, j’ai du mal à aller vers les femmes, je ne sais jamais trop comment les aborder mais Anthéa est différente. Peut-être que ça peut me donner un peu d’espoir pour essayer de refaire confiance à une femme ; je ne sais pas. Enfin toujours est-il que l’ambiance est toujours aussi chaleureuse et ça fait un peu de bien.

Elle trouve ça bizarre qu’Asher n’ait pas voulu me lâcher, mais moi je sais exactement pourquoi. Pourtant, il ne devrait pas avoir ce sentiment car je viens toujours le rechercher le lendemain. Même s’il n’a pas vraiment connu sa mère, j’ai l’impression que ça a tout de même laissé une trace presque indélébile au fond de lui. Je ne lui parle jamais d’elle parce que j’aimerais déjà moi-même arriver à l’oublier, à oublier qu’elle m’a fait du mal, qu’elle continue de m’en faire alors que je devrais tourner la page parce que ça fait longtemps. Mais je n’y arrive pas parce que j’élève la chair de sa chaire. Je souris et hoche la tête à sa proposition. Oui, pour sûr qu’il s’entendrait bien ; il adore les animaux.

« J’en prends note, oui je pense que ce serait une bonne idée mais effectivement, quand on ne boit pas haha. Ce n’est pas très étonnant pour ma part, malheureusement. Je pense que… l’abandon de sa mère, bien qu’il fût bébé a causé un traumatisme en lui. Il sait pourtant que je reviens toujours le chercher mais… Je ne sais pas, c’est comme ça à chaque fois. Il ne me le fait cependant pas, quand je le pose à la crèche. »

Ce qui est assez étonnant en soit mais en même temps, je me dis qu’il a ses amis et j’ai cru comprendre qu’il avait une chérie aussi. Je souris à nouveau quand Anthéa ramène un jeu de cartes et termine ma bière et ma part de gâteau presque d’une traite. C’est aussi bon qu’une petite cigarette mais quasi moins dangereux pour la santé aussi. Anthéa me laisse choisir le premier jeu ; ouh mauvaise idée mais bon, je sens que l’on va bien s’amuser. Bien sûr, elle veut savoir ce qu’il en est des gages et je réponds par l’affirmative quant à son interrogation.

« Oui une sorte d’action ou vérité, comme si nous avions encore dix ans haha. Je trouvais ça fun et autant pimenter le truc avec l’alcool. D’ailleurs, est-ce que tu sais jouer au poker ? »

Je lui demande pour un prochain jeu, tout d’abord, je vais choisir un jeu de cartes plutôt facile : le pouilleux ! Règle très simple : ne pas avoir le valet de pique dans sa main à la fin de la partie sinon c’est perdu.

« Je te propose un pouilleux pour ce premier jeu ! Je rappelle les règles au cas où ; donc ne pas avoir le valet de pique à la fin du jeu dans sa main, sinon c’est perdu. »

Je distribue ensuite les cartes et la partie peut commencer. Je me débarrasse déjà de mes paires puis à tour de rôle, on se donne une carte. Bon, nous ne sommes que deux à jouer alors ça peut prendre un peu de temps mais ce n’est pas grave. La partie avance et j’essaie de ne rien montrer, surtout quand je récupère le valet de pique à la miss. Zut… Je grommelle intérieurement en essayant de lui refiler le bébé mais sans y arriver. Je profite d’un instant pour me prendre une autre bière et l’entamer avant de me remettre dans la partie. Manque de pot, c’est moi qui perds ce premier jeu…

« Arf, je pensais arriver à te redonner le valet mais non… Alors quel gage veux-tu me donner ? Et bien sûr c’est toi qui choisis le second jeu ! »